Racisme anti-musulmans: que faire?
Racisme anti-musulmans, que faire ?
Le débat lors de l’atelier sur le racisme anti-musulmans, le 24 août 2013 à Grenoble, lors des estivales du Front de Gauche
J’ai rédigé hier un compte rendu (qui n’engage que moi) des contributions de la tribune lors de l’atelier, aux estivales du Front de Gauche, sur le racisme anti-musulmans. Ci suit un compte rendu des débats dans la salle.
Beaucoup de mains se sont levées, et pas tout le monde a pu intervenir. Le débat a dû s’arrêter lorsque les participants pour l’atelier suivant sont arrivés dans la salle : ainsi, aucun des intervenants de la tribune n’a pu réagir aux propos des militants dans la salle.
Votre serviteur (de la Gauche Anticapitaliste donc) a parlé en premier, pour souligner ce qui était spécifique de l’islamophobie par rapport à d’autres racismes. Les stéréotypes et les préjugés contre les musulmans sont répandus à gauche et à l’extrême gauche, ce qui est beaucoup moins le cas pour les autres racismes. Le résultat est que, malgré le fait que beaucoup de militants reconnaissent la réalité du racisme anti-musulmans, les organisations (y compris la mienne) sont presque toutes paralysées quant à l’action pour combattre l’oppression. Lorsqu’il y a attaque contre une mosquée ou agression d’une femme voilée, les communiqués de presse ont tendance à être minimalistes et tardifs, et lors du rassemblement suite aux agressions à Argenteuil, les organisations de la gauche radicale étaient quasiment absentes !
Il y a dans bien d’organisations une « minorité de blocage » qui empêche de fait les directions, qui ne veulent pas faire de vagues, de lancer des campagnes contre l’islamophobie. La raison pour laquelle Valls peut si facilement taper sur les musulmans, c’est qu’il peut être certain que les organisations à gauche de la sienne ne feront rien ou presque. Il est urgent de faire campagne contre les préjugés et les discriminations, et de construire, aux côtés des associations de musulmans, la résistance contre l’islamophobie.
Une militante du Parti de Gauche (V) a pris la parole pour dire qu’elle ne voulait pas que le débat soit centré sur la question de l’appartenance religieuse. « On oublie la question sociale ». Pour elle, c’était surtout l’apparence « arabe » des jeunes, et l’endroit où ils habitent qui étaient moteur de discrimination. Il ne faut pas oublier le racisme anti-arabes et la misogynie comme composantes des agressions contre les musulmanes voilées. L'arme de la laïcité ne suffit pas.
Un militant de la Gauche Anticapitaliste (R) est intervenu par la suite. Il a dénoncé la stigmatisation des musulmans dans les médias et a souligné que le problème se trouvait dans le fait qu’il n’y avait pas de bloc politique qui luttait contre l’islamophobie. La constitution d’un tel bloc lui semblait urgente. Quant à la loi de 2004, qui a interdit le foulard dans les collèges et les lycées, pour lui ce n’était pas du tout une continuation de la tradition de la laïcité en France, mais une nouvelle laïcité, une laïcité détournée car la question de la visibilité n'était pas dans la loi de 1905
Laurent Levy de la FASE a souligné la gravité de la situation, avec un commentaire un peu ironique : « A droite on n’aime pas les Arabes et à gauche, on n’aime pas les musulmans ! ». L’islamophobie n’est pas seulement présente dans des minorités marginalisées. Elle est étatique : les différents projets de loi (de 2004 sur les lycées, ensuite la loi sur le « voile intégral » et le projet de loi contre les nounous) ont fait de l’islamophobie une idéologie officielle, ce qui est gravissime. Toutes les organisations de gauche sont divisées sur la question. Il faut riposter. Nous avons tout à fait le droit de mener des campagnes contre Charlie Hebdo quand il incite à la haine.
Une militante (S) a expliqué l’évolution de son opinion à elle. Au départ elle avait été favorable à la loi de 2004 contre le port du foulard dans les établissements scolaires, mais elle a changé d’avis, considérant « qu’on n’émancipe pas les gens contre leur gré ».
Un intervenant s’est attaqué au « fascisme islamiste », à Tariq Ramadan et à la « cinquième colonne islamiste » qui aurait inventé le terme « islamophobie ». Cinq ou six personnes ont applaudi.
Un militant (S) a évoquéla question de la publication par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet. Autant il trouvait que le journal avait sans doute tort d’encourager de cette manière la théorie du « choc des civilisations », autant il voulait insister qu’il s’opposait à l’interdiction du blasphème par la loi ; il faut pouvoir critiquer les religions..
[Je pense que ce débat « faut-il accepter l’interdiction du blasphème » est une diversion, et qu’il tend à accréditer l’idée ridicule que les musulmans sont tellement puissants en France qu’ils risqueraient d’imposer une loi qui interdit le blasphème. Souvent ceux qui insistent « il faut critiquer les religions » ne se réfèrent pas au débat nécessaire sur la compréhension du monde, qui peut opposer conceptions religieuses, humanistes et autres, mais pensent plutôt « il faut insulter les croyants », ce qui n’a rien de progressiste, à mon humble avis — NDLR]
Une intervenante du Parti de Gauche(M-H) a dénoncé le racisme anti-musulmans ambiant, et insisté « on doit faire front pour défendre les musulmans ». Elle citait le cas d’un élu UMP de Nîmes cet été (Laurent Burgoa) qui avait dénoncé le supermarché Carrefour à cause de leurs « promotions pour Ramadan ». Selon l’élu de telles publicités montraient qu’on ne vivait plus dans une république laïque ! Elle a également dit être « atterrée » par le communiqué de presse du Parti de Gauche sur le cas de la crèche BabyLoup [disponible ici : http://www.lepartidegauche.fr/actualites/communique/creche-baby-loup-la-laicite-prend-eau-toute-part-21473]. La laïcité de ‘l’Etat devrait se limiter à des personnes ayant autorité, a-t-elle conclu.
Anastassia Politi de Syriza a souligné qu’en Grèce la montée des néo nazis avait été accompagnée de maintes agressions contre les musulmans.
Capucine, militante de la Gauche anticapitaliste et aussi de l'association "Mamans toutes égales" a souligné que 95% des agressions concernent les femmes, sans compter des agressions "légales". Du coup les musulmanes qui portent le voile sont cantonnées à des métiers tels qu'assistantes maternelles, télémarketing etc... Et le métier d'assistante maternelle aussi est visé. Elles n'osent non plus sortir non plus, restent cantonnées à la maison. Le projet de loi Chatel interdisant les mamans accompagnatrices pour les sorties d'école est en discussion entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
Il faudrait créer un Front de tous, et y compris au Front de Gauche on devrait avoir des réponses: genre communiqués du Front de Gauche etc... Enfin on devrait clairement dire qu'on est contre toute nouvelle loi.
Une intervenante, militante du MRAP et de la marche mondiale desfemmes a témoigné de situations graves dans certains quartiers, et donnél’exemple d’un quartier où des jeunes ont organisé des agressions contre des campements Roms. Elle a dit « On n’accepte bien sûr pas que les femmes voilées soient agressées ». En même temps, elle insistait « je combats l’islam politique aussi ».
Manuel Bompart du Parti de Gauche a dit qu’il ne fallait pas dire qu’il y avait des racistes à gauche : une telle position empêcherait de mobiliser. Pour lui, l’utilisation du mot « islamophobie » était une des raisons qu’il n’y avait pas de mobilisation contre le racisme anti-musulmans.
Un autre camarade a dénoncé le fait que l’extrême droite désormais se vante d’être laïque et féministe. « On s’est fait avoir par l’extrême droite ! »
Un militant considérait que c’était une erreur d’utiliser le terme « islamophobie ». « si on utilise le mot ‘islamophobie ‘, on sert la soupe à l’extrême droite, et on sert aussi la soupe à d’autres fascismes. Les islamistes travaillent les quartiers populaires. »
Pascale Lenoueannica insisté sur le fait qu’à son avis « il y avait encore un combat laïque à mener ».
J’ai voulu donner une impression des débats dans la salle. Je n’ai pas pris de notes sur certaines interventions, mais souvent il s’agissait de camarades qui répétaient des points déjà soulevés. Par ailleurs, le lecteur aura compris que je ne suis pas un commentateur neutre, puisque je combats l’islamophobie depuis plus de 20 ans.
En tout et pour tout, j'ai trouvé l’atelier très positif. Plusieurs personnes ont laissé leurs coordonnées pour être informées sur le réseau « militants du Front de Gauche contre l’islamophobie ». Vous pouvez trouver notre groupe sur facebook (plus de 500 membres déjà).
Par ailleurs, à deux ou trois reprises pendant ses discours aux estivales cette année, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé les stéréotypes et les préjugés à l’encontre des musulmans français. À mon avis, il faudrait encore améliorer considérablement ses positions sur la question, mais c’est un pas en avant important.
John Mullen
[merci encore à Nathalie pour quelques corrections et rajouts]
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